ÉLISE ÉVESQUE, ÉPOUSE BONIOL (1864 – 1956 ), L'ÂME DE FONT-COUVERTE par SUZY une de ses petites-filles.
SUZY dédie le récit de ses souvenirs : "À mes enfants et petits enfants, j’écris quelques uns de mes souvenirs de ma grand mère, Bonne maman Élise, que nous avons tous plus tard appelée “MÉMÉ”. Elle reste pour moi la personnalité marquante de Font-couverte… Elle a laissé sur moi une empreinte indélébile et je tiens beaucoup à vous faire connaître cet être exceptionnel, car je voudrais que la trace de sa vie reste profonde chez mes enfants et mes petits enfants."
Suzy, née en avril 1915, a connu son arrière grand père Gaston EVESQUE; elle avait huit ans quand il est décédé. Elle a surtout connu sa grand mère Élise ÉVESQUE qui avait traversé de mauvais moments très tôt dans sa vie. À la mort prématurée de sa mère, (ayant juste quinze ans et étant l'aînée de ses deux soeurs Louise et Jeanne) Élise devint leur éducatrice. Plus tard les trois filles de Gaston se mariérent. Élise ne resta mariée que cinq ans, car elle perdit son mari Paul Boniol dans un accident de chantier. De leur mariage naquit une seule fille Marie Boniol.
Élise éleva sa fille et sa nièce tout en restant aux côtés de son père. Il était propriétaire des terres des Evesque à Baron (Font-couverte) et à Saint-Maurice de Cazevieille, ainsi que d'une maison et d'une usine de dévidage de cocons de vers à soie aux Prés Rasclaux à Alès.
Marie se maria à Fontcouverte en 1911 à Paul Carayon qui avait établi une maison de négoce de vins à Carcassonne. C'est dans la préfecture de l'Aude connue pour sa célèbre cité médiévale que naquirent leurs filles aînées Yvette et Suzy. À cette époque Élise était veuve et assistait Gaston son père en suivant la gestion de ses biens et de ses affaires à Font-Couverte et ailleurs.
Tout changea après la mort de Gaston Évesque en 1923. Ses biens furent répartis lors du règlement de sa succession en 1924 entre ses trois filles: Élise eut Font-Couverte avec ses vignes ses bois et ses terres à céréales. Louise eut les terres de Saint-Maurice de Cazevieille situées notamment vers le Mas de Clary. Jeanne eut la maison et les biens d'Alès aux Prés Rasclaux.
Héritière de Font-Couverte, Élise fit immédiatement donation de toute sa part d'héritage à sa fille Marie et c'est Paul son gendre qui prit en charge la gestion à partir de 1924. Il transféra alors son négoce de vins de Carcassonne à Nîmes, rue Monjardin et rue de la Servie. Ainsi leur résidence principale était à Nîmes et Fontcouverte devint leur résidence secondaire pour les week-end et les vacances.
Ainsi Suzy a d'abord connu Fontcouverte du temps de son arrière grand père Gaston Évesque, assisté par Élise sa grand mère. Puis à partir de ses neufs ans elle a vu le vieux mas de Font-Couverte transformé par ses parents. Les transformations se produisirent surtout jusque vers 1930, puis à nouveau entre 1945 et 1947 avec l'arrivée d'une nouvelle génération née à partir de 1937. Le vieux mas entra ensuite dans une période stable, mais de plus en plus difficile financièrement de 1951 à 1969 quand l'activité des fermiers ne suffisait pas à faire vivre le mas, et malgré la vente d'immeubles à Vabre et à Agay, ainsi que la maison de vins de Nîmes.
Le partage de 1970, créant une copropriété pour six familles indépendantes, modifia à nouveau Fontcouverte qui perdit ses vignes et sa cave, ainsi qu'une grande partie de ses terres céréalières. Élise, décédée en 1956 n'a pas connu ce partage réalisé par sa fille Marie.
Les enfants et petits enfants de SUZY partagent volontiers la première partie du récit de ses souvenirs avec les habitants de Fontcouverte: "Mémé a connu deux périodes dans sa vie, associées à deux lieux: Alès et Font-couverte. Je ne connais que par ouï-dire les souvenirs qui se rapportent à sa vie à Alès, je vais surtout raconter ceux concernant Bonne Maman Élise à Font-couverte dans la mesure où ma mémoire me le permettra."
D’abord je veux vous présenter MÉMÉ, une personne plutôt grande et mince à l’allure élancée. Elle a de beaux cheveux noirs, qui ne se sont argentés que les dernières années de sa vie. Elle les coiffe en un chignon fourni qu’elle façonne avec art et dextérité; ses yeux sont grands et vifs, enfoncés dans les orbites. Elle a le nez plutôt fort et un peu busqué, comme celui des Évesque. Son visage n’obéit pas aux canons de la beauté régulière, mais il attire chacun par sa bienveillance. Bonne maman Élise dégage en même temps beaucoup de distinction dans son allure et une simplicité confiante. Elle est toujours attentive à vous dire la parole que vous avez besoin d’entendre. Elle tutoie quiconque avec une grande facilité. Elle a pris très tôt l’habitude de penser aux autres avant de penser à elle-même. Elle ne ménage pas son temps et son énergie. Elle répète souvent:”Il vaut mieux s’user que rouiller” et elle met cette maxime en pratique.
Bonne maman Élise a perdu sa mère, Marie-Joséphine Évesque née Féline à l’âge de 15 ans. Comme elle était l’aînée, elle élève ses deux soeurs plus jeunes: Louise et Jeanne. Mémé se révèle une véritable petite maman. Elle attend que ses deux soeurs soient mariées pour songer à son propre mariage.
Les trois soeurs Evesque avec deux amies d'Alais. Elise (Boniol) est assise à droite, debout derrière elle Jeanne (Nogarede) et debout à gauche Louise (Abauzit)
Elise épousera un ingénieur de Centrale originaire des Cévennes: Paul BONIOL.
Après cinq ans de bonheur, son mari lui est enlevé brutalement à la suite d’un accident qui s’est produit dans l’entreprise familiale de dévidage des cocons pour la fabrication de fils de vers à soie.
Elle élève courageusement sa fille Mimi BONIOL et quelques années plus tard aussi, sa nièce Lucie ABAUZIT (DELLYS) dont elle s’occupera comme de sa fille à la mort de sa soeur Louise.
Élise avait une expression particulière pour parler de cette époque si douloureuse: “J’en ai passé une mauvaise république !”
Au milieu de cette vie jalonnée très tôt de deuils, elle montre toutes ses capacités et qualités. Elle dirige le Mas de Fontcouverte en véritable maîtresse de maison. Elle s’occupe des affaires de son père, qui est plus un homme de relations que de gestion. Font-couverte, avant le partage de 1924 était alors un grand domaine où la polyculture régnait. Élise prend sur elle la responsabilité de la ferme et des fermiers, les soucis des récoltes: des céréales (orge, avoine, paumelle), de la vigne, des olives, sans oublier les périodes d’activités intenses: le battage sur l’aire, les vendanges, l'élevage des vers à soie et la présence d’un grand troupeau avec son berger et une ou deux chèvres. Élise est une femme de tête. Elle supervise tout.
En janvier, elle préside à la charcuterie. Aidée de deux ou trois femmes du pays elle effectue ce dur travail qui commence aux cris du cochon tué par le “saigneur” attitré. Le cochon était pendu par les pieds arrières au plafond de la cuisine de la ferme. Souvent on tuait deux cochons: un pour les fermiers et un autre pour la famille. Ils étaient élevés dans un local stué dans la cour de la ferme. Pendant les périodes de pénurie (la guerre de 1940 par exemple) on en tuait un seul pour tout le mas et on disait : “Cette année on a tué la moitié du cochon ! “ Les différents quartiers du porc étaient posés en énormes morceaux sur des tables dressées dans la cour de la ferme recouvertes de grands draps immaculés et sur d’autres tables ou traiteaux recouverts aussi de blanc se trouvaient d’immenses “grésales” en poterie jaune qui recevaient les viandes hachées plus ou moins finement selon leurs usages futurs. La lourde machine fixée solidement ne s’arrêtait pas de tourner et par l’entonnoir approprié sortaient des mètres et des mètres de saucisses, des boudins noirs aux herbes parfumées, des andouilles, enfin tout un assortiment de produits desquels on ne savait quell était le meilleur. Certains préféraient l’énorme saucisson appelé “bout du monde” et dont on ne fabriquait qu’un seul exemplaire par cochon; d’autres aimaient mieux les savoureux pâtés de foie à la cévenole. Tout celà constituait des provisions pour la plus grande partie de l’année. Plus tard Mamy qui avait si souvent assisté à cette opération la dirigera elle-même, en maîtresse de maison experte et elle joindra aux recettes du pays, celles recueillies à Vabre dans la famille de son mari.
L’élevage des vers à soie constituait aussi une activité importante du vieux mas. Celà se passait dans l’aile nord-ouest de Fontcouverte, dans la grande pièce, devenue plus tard "salle des mariages" qui se situe au-dessus des belles voutes en pierres d’Uzès. A l’époque ces voutes servaient de remise à charrettes. Plus tard Bon papa, le gendre d’Élise fit transformer l'une d'entre elles en buanderie. Pour monter à cette grande pièce à hautes cheminées, il fallait gravir un escalier de pierre aux marches usées et sans balustrade, comme il en existe une maintenant. C’était un simple escalier de ferme par lequel on accédait sur la droite à la grange à foin. Au fond de cette grange, contre la paroi du mur et au sol, se trouvaient deux trappes ouvertes, qui servaient à faire tomber le foin dans la mangeoire de l’écurie au dessous. Les boeufs de labour et plus tard les chevaux, sans oublier “La Finette” la vache bretonne n’avaient qu’à prendre leur provende au travers des barreaux du ratelier. En passant par le Porche, à côté de l’entrée sur la route, les charettes apportaient le foin jusqu’à l'escalier de pierre de la magnanerie et les fermiers à grands coups de fourches l’emmagasinaient dans la grange.
Puisque je parle des vers à soie, je me souviens de la façon curieuse pratiquée par une femme de la ferme pour conserver la “graine” de vers à soie à la chaleur voulue pour obtenir l’éclosion des oeufs. J’ai ainsi vu Mariquettte la fille d’anciens fermiers de Fontcouverte, Gustave Rome, qui était une amie d’Élise et de toute la famille, sortir de son corsage une petite boite ronde, comme une boîte de “Vache-qui-rit”, où elle conservait la "graine" des vers à soie jusqu’à leur éclosion.
J’ai un très vieux souvenir en mémoire, celui de la grande salle de la magnanerie remplie de longs traiteaux couverts de feuilles de muriers. Les petits vers dévoraient les feuilles en produisant un bruit qui ressemblait à celui de la pluie sur le feuillage… Et les vers ne s’arrêtaient de brouter que pour muer le corps immobile et la tête en l’air après chaque mue. Ils grossissent et à la septième mue ils grimpaient sur des branches de bruyère placées sur les tables et accrochent leur fil d’une brindille à l’autre, pour s’enfermer dans de jolis cocons, couleur de lumière. Il fallait que la temperature soit toujours constante et des poelles avec de longs tuyaux maintenaient la chaleur nécessaire. Les enfants n’avaient pas l’autorisation d’entrer sauf quelques instants. Il ne fallait pas troubler ces gros vers blanc-grisâtre, un peu repoussants mais qui étaient capables de produire la soie la plus précieuse. J’ai toujours gardé la vision de ce spectacle, plein de mystère, qui fut plus tard dépassé par la fabrication de soies industrielles.
Mes souvenirs sur les travaux des champs ne correspondent plus aux pratiques actuelles. Dans mon enfance le labourage, en automne, se conduisait à la charrue tirée par des boeufs, attachés au joug. Tout l’attirail pour les travaux agricoles (jougs, licols, lanières, mords, oeillères,..) était suspendu le long du passage que nous appelons aujourd’hui “le tunnel”. Pendant la saison des semailles, le fermier jetait le grain d’un large geste bien régulier. Puis il passait la herse légère à grande dents arrondies que tirait un cheval. En effet le cheval plus rapide remplaçait les boeufs. Venait ensuite le temps des moissons , au début le fermier se servait de la faux et c’était un travail long et fatigant. Le dépiquage se faisait au rouleau, tiré par le cheval qui tournait en rond sur l’aire. Je me souviens très bien du temps où nous pouvions admirer sur l’aire d’immenses meules de céréales et où la batteuse mécanique séparait tout les grains de la paille et de la balle en deux jours. Cette énorme machine faisait un grand bruit de roulements. Ces hommes, de durs gaillards bronzés alimentaient la terrible dévoreuse à coups de fourches et en déliant les gerbes. Ils s’agitaient en haut des meules et en bas les grands sacs se remplissaient de grains. Enfin, après le passage des moissonneurs, les grands tas de paille restaient sur l’aire avant que le fermier ait le temps de les rentrer. Nous nous amusions à monter dedans et à nous y coucher. La paille nous piquait et entrait partout. Nous en avions jusque dans les cheveux et les sandales.
Le troupeau en 1916
La présence d’un troupeau était une attraction pour moi dans le vieux Fontcouverte. Vous ne savez peutêtre pas que dans le Pavillon en bord de route qui s’ouvre sur le parc, il y eut jadis une bergerie avec le troupeau de Fontcouverte. Après les transformations effectuées du temps de mon père, la bergerie fut transférée dans la partie gauche du grand hangar de la ferme. J’aimais tous les soirs voir rentrer le troupeau . Avant le coucher du soleil , on entendait de loin le tintement des clochettes et les bêlements des bêtes. Puis on devinait son approche à la poussière dorée par le soleil qu’il soulevait sur son passage. En tête le berger avec sa canne, sa besace qui servait à mettre le casse-croute et le chien qui courait d’un côté et de l’autre de la route pour empêcher les moutons de s’attarder.
Le bèlier marchait dignement en tête du troupeau. On le distinguait bien des autres bêtes, avec ses belles cornes, sa grande taille et sa cloche de guide du troupeau. Les brebis bèlaient davantage à l’approche du mas car elles savaient qu’elles allaient revoir leurs petits agneaux.Les retrouvailles se faisaient dans la cour de la ferme. C’était un bien joli spectacle de voir chaque agneau affamé se précipiter sur le pis de sa mère gonflé de lait. Il y avait très peu de méprises et si l’agneau se trompait, la fausse mère le rabrouait d’un coup de tête. Les bergers étaient des personnalités de caractère. Ils connaissaient chaque animal. Ils ont du temps pour réfléchir et cela leur donnait une façon de voir très profonde. Il y en avait qui étaient très adroits de leurs doigts. L’un d’entre eux avait sculpté pour nous de ravissants petits sabots miniatures. C’était touchant de voir revenir le berger avec un petit agneau dans les bras. Une fois l’un d’eux est rentré en disant il y a une brebis malade dans les bois et cette phrase m’a profondémment marquée. J’ai demandé souvent si elle était encore malade. La famille m’a beaucoup chinée sur cette question mais personne ne m’a jamais donné de réponse! Je me souviens du dernier petit berger qui nous regardait jouer au tennis, avec envie. Nous lui avons demandé s’il voulait jouer avec nous et il a répondu du tac au tac “Oh! Je saurais bien jouer mais vous vous ne sauriez pas garder mon troupeau!"
Sur un carnet de comptes, précisions sur l'importance du troupeau en 1924 :
Situation du troupeau au 10 juillet 1924: Au départ du berger Jean ESPERANDIEU à St-Etienne de l’Olm; le troupeau (partie restée à FontCouverte) était constitué de 106 bêtes: 1 bèlier noir petit, 2 bèliers grand- format (anglais et bastard) et 91 brebis. Le reste est vendu à Rath, boucher à Alés
le 14 aout: Retour de la montagne de 80 bêtes (à déduire 1 brebis décédée à la montagne) et vendu à Rath boucher à Alais : 2 brebis et 1 bèlier nain - Situation du troupeau:178
le 19 aout: acheté à Adrien à Arpaillargues un bèlier anglais de 85kgs.
Le troupeau au 21 aout 1924 avec les agneaux est composé comme suit: Bèliers anglais: 2, Bèlier à cornes: 1; jeune belier : 1; jeunes brebis: 21; Belles brebis : 50; Brebis moyennes : 105 ; Brebis vieilles: 3; Agneaux de lait: 16; Total 199.(même situation au 8 septembre 1924)
Le 16 septembre: Focré de Brouzet achète 9 brebis dont 8 avec leur agneau : reste 192
Perdu en octobre: 1 brebis crevée
Perdu fin novembre : 1 brebis dans le bois malade
Récapitulation au 1er décembre 1924:
Restait au départ d’Espérandieu : 106; Retour montagne: 79, total 185
Acheté à Brouzet: 9; bèlier Adrien: 1 : à déduire :195
Vendues à Rath, boucher à Alais depuis juillet 24 (décédées 2) total 26, reste 169.
Petites femelles mises à la suite par PROSPER: 3… Total 172
Le bosquet de Font-Couverte a été dans notre enfance, notre domaine. La route était loin d’être aussi dangereuse qu’aujourd’hui. Beaucoup de charrettes circulaient mais on avait le temps de traverser. Nous aimions explorer le Bosquet , surtout le devant du bois. Nous y faisions chacun notre maison. Tita Lucette (Lucy Carayon) avait baptisé notre village “le village des sans soucis”. Une année nous avons voulu faire un établissement thermal pour imiter celui d’Euzet-les-Bains. Nous cachions une grosse bouteille, type magnum, pleine d’eau sous de la mousse. C’était une source intermittente. Il n’y avait plus qu’à ouvrir le bouchon pour qu’elle coule !
Dans le bois, nous découvrions un grand nombre d'objets intéressants. Nous partions à l’aventure sans craindre les égratignures et revenions les jambes zébrées par les piquants des petits chênes kermès. Je me rappelle qu’un jour en passant sous des buis épais j’ai découvert deux ou trois nids de poules avec un oeuf dedans. Je les ai rapportés triomphante à la maison mais ils étaient trop vieux pour être comestibles.
À la saison des champignons, nous trouvions des "envinassés". Ils faisaient des taches recouvertes de terre et quelquefois des cèpes avec leurs beaux chapeaux bruns.
En furetant partout, il nous arrivait de découvrir des fossiles car il y en avait encore de fort beaux. C’était une joie de découvrir un de ces gros escargots de pierre si pesants. Je n’oublie pas que plus tard c’est dans ce bois, mais sur la crête, que j’ai eu la satisfaction de trouver mon fossile de patte de cerf ou d’un autre animal (une véritable prothèse !). Nous connaissions aussi dans le Bosquet des emplacements arrondis et déboisés où s’étaient élévées d’anciennes charbonnières et près desquelles se trouvaient les pierres éboulées des maisons abandonnées. La plus connue et fréquentée de tous les enfants de Font-Couverte était “la maison blanche” où des générations d’enfants ont joué. La dernière métamorphose de cette charbonnière, fut celle d’un temple aztèque.
Dans le vieux temps, ces charbonnières étaient en activité. Il y en avait deux ou trois qui fonctionnaient en même temps. Les colonnes de fumée s’élevaient droites et fines et révélaient leur présence. Nous aimions, nous les plus grandes, aller les voir de près. Les charbonniers nous faisaient un peu peur car parfois, ils parlaient mal le français car ils étaient pour la plus part italiens venus récemment en France. Et puis ils vivaient à la sauvage dans une masure qu’ils construisaient avec quelques rocailles et un toit en branchages. Il leur fallait d’abord couper les rondins de chênes verts, tous pareils, les disposer en pyramide régulière en laissant au milieu un conduit pour l’aération de la cheminée. Pour finir ils jetaient sur la charbonnière quelques pelletées de terre pour que le feu couve sans brûler complètement le bois. Les charbonniers avaient fort à faire. Leur travail était à la fois un travail de bucheron et aussi un travail qui demandait une grande surveillance pour que le charbon de bois soit “à point”. Peu à peu le métier s’est perdu. Le progrés avec l’électricité, le gaz et le fuel l’a étouffé. Peutêtre les chênes verts en profiteront pour devenir plus grands et plus beaux ( à condition qu’on les débroussaille).
Mémé aimait beaucoup la marche. j‘ai gardé la souvenance d’une promenade en famille à la charbonnière de la Madeleine. En plus de Mémé et Grand père Évesque, il y avait Mamy qui conduisait la poussette de Renée; Yvette qui tirait un petit chien à roulettes et moi je tenais dans mes bras un canard en peluche orange appelé Tango, le jouet m’avait conquise à ce moment là et je ne m’en séparais pas. Nous arrivions à la charbonnière en prenant un sentier sur la droite alors pratiquable. C’était une petite esplanade qui servait de terrain de jeux pour les enfants, tandis que les adultes discutaient assis sur des petits pliants sans dossier. Tout le monde respire à pleins poumons le bon air parfumé de lavande et de thym.
Mémé pour dépanner Mamy, qui avait un cinquième enfant, Mireille, m’a gardée quelques temps à Font Couverte; c’était encore du temps de Grand Père Évesque.
Mémé m’accompagnait chaque après midi à l’école d’Euzet-les-Bains pour travailler avec l’institutrice, madame Laville, qui était une de ses amies. Nous y allions à pied. Je mettais des bottines à lacets et c’était un dur travail pour mes jeunes doigts de faire passer les lacets dans tous ces trous. Mémé me coiffait et me mettait ce que nous appellions du “Sent bon”, et qui était de l’eau de Cologne. Celle de Mémé était toujours à la lavande. Mémé était une bonne marcheuse et c’était un plaisir de suivre un chemin avec elle. Nous prenions d’abord la route qui était encore blanche et un peu poussiéreuse. Nous montions la côte de la Madeleine, puis, dans la descente, à partir du vieux cade sur la droite, nous empruntions pour raccourcir le trajet , un sentier qui contournait les champs et nous obligeait à marcher l’une derrière l’autre. Enfin nous arrivions sur le joli chemin des bois qui mène jusqu’au village. À l’école d’Euzet, sur la place, nous étions accueillies par madame Laville. Mémé sortait son ouvrage de son sac et tricotait pendant que je faisais du calcul ou de l’orthographe. Mémé causait ensuite avec madame Laville; pendant ce temps je jouais avec le petit chaton. Après la classe nous passions chaque fois voir une vieille cousine Délicie, l’aïeule des cousins Troupel. Elle était assise près de la porte de sa petite maison et nous faisait un bon sourire dessous sa coiffe fanchon à rubans. Et les conversations reprenaient. Moi, j’observais la vieille et grosse tortue dont la carapasse avait résisté à une roue de charette… Parfois cousine Lucie, la fille de Délicia, faisait un bout de chemin de retour avec nous.
Mémé a toujours été très sociable, elle connaissait tout le monde dans le pays. Elle avait des cousins et des amis partout dans les environs. Lydie Roux de Foissac venait voir Mémé, toujours avec son ombrelle. À Gattigues et à Aigaliers se trouvaient les cousins Girel et Cazalet. À la Bruyérette vivaient les Dusseaux, monsieur avec sa barbiche blanche et madame avec sa guimpe en tulle baleinée.
Mémé faisait des visites avec plaisir et les gens du pays se rappellent encore de madame Boniol. À ce propos avec Jean mon mari, nous sommes allés aux archives communales à Saint- Just vers 1982-83. Nous nous sommes adressés au maire, un vieux monsieur distingué, qui s’appelait monsieur Trinquier. Il nous a dit que petit garcon en revenant du marché d’Uzès, il passait avec son père devant Font Couverte et s’arrêtait pour saluer une vieille cousine Evesque… naturellement il s’agissait de Mémé.
D’habitude Bonne maman Élise fait ses visites à pied. Parfois quand l’endroit est éloigné, Mémé dit au fermier de nous y conduire. Celui-ci attelle Négro, le seul cheval de Font Couverte qui ne soit pas un cheval de labour; c’était plutôt un cheval de bataille, puisque parait-il, il était allé à la guerre de 14 ! C’est Négro qui avec la voiture à quatre roues venait nous chercher à la gare de chemin de fer d’Euzet ou de Saint-Chaptes.
La Berliet familiale
Quand nous arrivions de Carcassonne. Quelle joie d’être à Font Couverte en été; mais en hiver, il faut se chauffer devant la grande cheminée dans la salle à manger qui était alors au premier étage.
C’était une pièce grande et bien éclairée par sa haute fenêtre exposée au sud. Elle était agréable avec sa vue sur le Bosquet. Sur la droite en entrant se dressait un grand potager recouvert de céramiques à jolis dessins bleus. On pouvait y cuisiner sur des braséros à charbon de bois et notamment des potages. Après le potager sur la droite, partait un petit escalier de quelques marches grises qui conduisaient aux deux chambres du devant au-dessus du porche. La première n’avait pas de nom attitré car il fallait la traverser pour aller dans la chambre des parents qui était au fond. Dans la première les enfants ont couché jusqu’aux transformations. Pour en revenir à la sale à manger après le petit escalier, toute la partie de droite était occupée par une grande cheminée avec des niches, dans celle de gauche se trouvait le fauteuil de grand père. À gauche en regardant la fenêtre il y avait creusé dans le mur une grande place pour un évier en pierre et au-dessus une étagère qui servait de vaisselier. Sur l’autre côté de la pièce se dressait un grand et beau buffet à deux corps. De chaque côté de la fenêtre deux jolis petits fauteuils rustiques à dos cintrés et sur lesquels étaient maintenus par des cordelières des cousins en toile bise ornée de rouge. La table ronde était au milieu et pouvait s’agrandir avec des rallonges. Quand nous étions là, on faisait la cuisine en bas, dans la vieille salle voutée du dessous. Le sol de la salle à manger a conservé ces mêmes paves gris à dessins grenats. La maîtresse de maison tapait sur ces pavés avec son couteau pour faire monter le repas par la cuisinière et encore aujourd’hui on peut distinguer, certaines traces de coups de couteau. Je me rappelle des objets accrochés au mur, parmi eux un grand vide poche et une corne d’abondance qui, à toute une histoire que m’a raconté Mamy. J’étais intriguée par cet objet de style un peu rococo en "vieux pichon" marbré blanc et vert avec des roses blanches en relief. Cette corne d’abondance avait été offerte à Mémé, par sa soeur Jeanne et venait de la kermesse d’Euzet-les-Bains, qui avait lieu chaque année en septembre à l’établissement.
Sur le potager se trouvait un vieux Moulin à sel et la haute pendule de Font-couverte se dressait à droite du buffet. Dans le vieux Font-couverte il y avait une porte sur la gauche de ce meuble qui communiquait avec le vieux salon, mais on pouvait y accéder par le couloir. Plus tard la salle à manger fut transférée dans le Pavillon sur le Parc et l'ancienne salle à manger devint une grande chambre.
Le vieux salon était à la place de la chambre de Mamy, de mon temps il était tapissé d’un revêtement clair, avec une frise à grosses fleurs. Il avait un mobilier Louis-Philippe avec un canapé et deux fauteuils en bois noir recouverts de velours rouge. Il y avait aussi deux fauteuils “Voltaire” et des chaises légères noires avec du doré. En entrant sur la gauche, un piano était adossé au mur de la petite chambre dont la fenêtre donnait sur la cour de la ferme et qui a été transformée par la suite en cabinet de toilette de Mamy. Dans ce salon, je me souviens des soirées de musique. Bon papa et son frère Charles, jouaient de la flute, accompagnés au piano par notre tante Tita Lucette, ou bien ils chantaient des airs patriotiques, car c’était à la fin de la grande guerre, comme “Flotte petit drapeau” ou “Un matin de 14 juillet”.
Après la mort de Grandpère Évesque le piano droit a été remplacé par le clavecin et c’est sur cet instrument que j’ai fait mes premiers essais de pianiste ainsi qu’Yvette, guidées par Mamy. Par la suite le clavecin ou plutôt le piano plat a été transporté dans la salle à manger où il était plus accessible car au salon, nous n’y allions pas souvent.
La chambre de Mémé a changé aussi de place, elle a été dans la chambre du fond de la terrasse du premier à droite, l’ancienne chambre de Grandpère Évesque qui était une grande pièce sur laquelle donnait une pièce plus petite appelée “l’espélidou” qui était consacrée aux vers à soie pour les faire éclore.
La grande terrasse du premier étage donnant sur le jardin et par laquelle on accédait aux chambres du Vieux Fontcouverte était l’un des lieux de rencontre de la famille.
La véritable chambre de Mémé, celle où elle a vécu le plus longtemps est la chambre sous l’escalier du grenier. Elle était autrefois un peu sombre et n’avait qu’une fenêtre sur la Terrasse, mais Bonpapa, par la suite l’avait fait éclairer à l’Est par une autre fenêtre en coin qui donnait sur la cour de la ferme.
Cette chambre était toute simple avec un lit de bois, une armoire à glace, une petite table à deux tiroirs, une jolie petite table de chevet et dans le fond, une belle petite table de toilette à dessus de marbre sur lequel il y avait une cuvette et un pot à eau en jolie faïence à dessins floraux. Au début, il n’y avait pas d’eau courante à Font-couverte mais tout un équipement de brocs, de seaux et un tub pour se laver.
La terrasse fait un angle droit. Dans le fond à gauche se trouvaient deux pièces: Dans la première salle aux pavés de briques roses délavées et au plafond gris à poutrelles, Mémé faisait sécher les “yans” de raisins. Elle formait des grappes de clairettes roses qui s’équilibraient entre elles et elle les accrochait au plafond. Ainsi suspendus, les raisins se conservaient jusqu’à Noël, ce qui permettait d’avoir des fruits en hiver. Un bon dessert au goût sucré et délicieux.
Comme la famille grandissait Bonpapa a fait transformer cette pièce en chambre. Elle est devenue par la suite la chambre bleue et enfin la salle de séjour de Mireille. La petite pièce à côté fut parfois une chambre pour le jardinier, parfois un bureau.
Sur cette terrasse autrefois, il y avait un vieux jeu de passe boule avec un crapaud en fer, qui ouvrait une grande bouche, et différents trous numerotés. Le jeu consistait à bien viser avec la boule pour gagner le plus de points possible et le gagnant était celui qui réussissait à faire passer la boule dans la gueule du crapaud. Sur la première partie de la Terrasse, contre le mur, il y avait le vieux canapé de Font-couverte. Il était alors tout simple, mais il était bien agréable pour s’asseoir et converser sans descendre au jardin; souvent en ajoutant quelques sièges supplémentaires cela faisait un véritable salon de plein air. Par la porte d’entrée du premier, on accédait par un escalier au grenier, avant qu’il soit transformé en chambres par Bonpapa. Je veux parler du premier de gauche, car c’était celui que nous fréquentions le plus. Devant la fenêtre, il y avait 3 grandes cases à ceréales en maçonnerie. Dans le temps on y mettait le blé, l’avoine, la paumelle pour les volailles et le bétail. Ce qui attirait un bon nombre de souris qui faisaient la nuit des sarabandes effrénées au-dessus des plafonds des chambres. Avec Françoise Allard et Renée, quand nous étions fillettes, nous allions nous amuser là-haut secrètement: nous nous juchions sur le mur de l’une de ces cases. Nous avions pris comme cri de ralliement “Le roi - est parti – pour où? – à Cahors” et nous le crions séparement en roulant les rrr ou en imitant le cri des grenouilles ou bien nous le crions toutes les trois à la fois; cela faisait un ensemble assez réussi ! Une fois, Françoise eut l’audace de chipper les croquettes de pommes de terre pendant le repas, de les camoufler dans ses poches. Nous nous étions patagé le butin “à Cahors”, toutes contentes de ce coup d’éclat. (Je ne crois pas que ce soit là une nourriture indiquée pour les grenouilles, mais les croquettes étaient froides et graisseuses et n’étaient pas particulièrement savoureuses, mais elles avaient le goût du fruit défendu.
En hiver Mémé nous passait la grande bassinoire dans nos lits. C’est une grande casserole pleine de braises dont la chaleur chassait l’humidité des gros draps rugueux d’autrefois. Mémé nous donnait aussi une brique toute chaude qu’elle sortait de sous le foyer. Le moine avec sa carcasse de bois et sa casserolette de braises était réservé au lit des parents.
Au début dans le vieux mas, on s’éclairait avec des lampes à pétrole; la plus grosse pour la salle à manger et les petites lampes “pigeons” avec des verres ronds pour les chambres; il y avait aussi des bougeoirs. Chacun gagne son lit avec son éclairage. Quand on a installé l’électricité, quelle merveille ! mais hélas il y a souvent des panes et Mémé par précaution met toujours un bougeoir avec sa bougie et la boîte d’allumettes dans chaque chambre.
(à suivre)
Le manuscrit du récit des souvenirs de Suzy sur sa grand mère Élise se poursuit. Seule cette première partie est mise en caractères d'imprimerie.